*** English version below ***

« Le musée des Arts décoratifs présente sa première grande monographie dédiée à Paul Poiret (1879-1944), figure incontournable de la haute couture parisienne du début du XXe siècle. Considéré comme le libérateur du corps féminin pour l’avoir décorseté, Paul Poiret a rénové la mode. »

Voici les quelques mots qui présentent l’expo « Paul Poiret, la mode est une fête » qui a actuellement lieu au MAD. J’ai longtemps hésité à aller voir cette exposition, car quiconque vit au XXIe siècle et s’intéresse à la mode ancienne sait que Paul Poiret est un créateur très problématique. J’ai finalement décidé d’y aller avant de juger, et… j’en suis ressortie choquée par cette master class de colonialisme décomplexé et d’appropriation culturelle glorifiée.

Explications :



Paul Poiret peut-il encore être exposé comme le MAD le fait en 2025 ?

Réponse : NON.

Poiret est souvent présenté comme un visionnaire de la mode, un artiste audacieux qui aurait libéré le corps féminin du corset au début du XXe siècle. C’est en tout cas le récit que nous propose le Musée des Arts Décoratifs (MAD) dans son exposition « Poiret, la mode est une fête », ouverte en 2025. Mais à la lumière des outils critiques du XXIe siècle, notamment ceux qui permettent d’analyser les rapports coloniaux, l’orientalisme et l’appropriation culturelle, cette célébration sans nuance interroge profondément.

Mais, commençons par le début, dès l’arrivée, nous sommes accueillis par ce texte :

Okayyyyyyyyy ! Et ça c’est du ton admiratif et totalement dépolitisé. Paul Poiret est qualifié de « roi de la mode », de « novateur », de « personnage romanesque ». Un joli résumé de ce que sera l’exposition : un hommage plein de ferveur pour cet homme qui a allégrement pillé les cultures non occidentales, sans jamais convoquer la moindre voix critique ni présenter ces « inspirations » sans lesquelles il ne serait rien.

Balade en plein colonialisme

On continue la visite. Les mots qui jalonnent le parcours — « fantasme oriental », « exotisme », « puissance onirique », « quête d’authenticité » — trahissent une fascination intacte pour l’imaginaire colonial. On ne parle ni de colonisation, ni de domination, ni même de contexte politique. Il ne faudrait pas fâcher les personnes qui veulent juste voir des belles étoffes arrangées avec goût sans se poser trop de questions. Le visiteur est invité à admirer, sans distance, un homme blanc qui a puisé dans les cultures d’Asie et d’Afrique du Nord, pour en faire de « l’art moderne » et être admiré pour ça.

« Mandchoue », « Exotique », « Martinique ». Des noms de robes qui racontent l’effacement de cultures entières, réduites à des silhouettes à fantasmer. Et les cartels ? Pas de réelle mention mention d’une tradition textile, aucun dialogue culturel : peut-être parce que, justement, Paul Poiret s’en souciait moins que créer de la « nouveauté » pour ses riches clientes européennes blasées par la mode européenne ? Mais dites-moi les équipes du MAD, on est plus au début du XXe siècle en fait.

Certes, pour dépoussiérer un peu le truc, l’expo appose en face des vêtements anciens des créateurs plus récents pour montrer à quel point Poiret a inspiré. Donc… pour résumer : la culture non-européenne a inspiré Poiret, et Poiret à inspiré des créateurs de mode modernes. Du balais les cultures en question, la mode est une chose sérieuse, on ne va pas vous citer quand même, non mais ! Et allons jusqu’au bout de la blague, étant donné que certains de ces créateurs sont, eux aussi, hautement problématiques.

Ce sont les vrais cartels. Oui, oui.

Allez, on continue encore :

C’est qu’il nous manquait encore le pillage travesti en « voyage artistique » dites-donc ! Poiret est présenté comme un explorateur curieux, un esprit libre enrichi par les voyages. Sa croisière de 1910 en Méditerranée à travers des territoires alors colonisés ou semi-colonisés — est décrite comme une « mission de recherche destinée à servir la mode ». Il y « observe » des turbans, des sarouels, des broderies, pour ensuite les réinterpréter à sa guise. Ce cartel illustre de manière frappante le regard colonial romantisé et l’appropriation culturelle revendiquée sans détour, sous couvert de “quête d’authenticité”. Paul Poiret ne collabore pas avec des créateur·ices locaux·les, il ne crédite pas ses sources, il ne restitue rien. Il prélève, extrait, transforme, et signe le tout de son nom (parce que c’est lui le boss on vous dit !).

Une exposition qui perpétue le récit colonial

Ce que le MAD semble oublier — ou taire délibérément —, c’est que la production de Poiret s’inscrit dans un contexte impérialiste. La France des années 1910 est une puissance coloniale majeure, et la mode ne se développe pas en dehors de ces rapports de force. Les tissus ou les formes « exotiques » ne tombent pas du ciel : ils viennent de réseaux commerciaux fondés sur l’exploitation. Les motifs « venus d’ailleurs » ne sont pas des curiosités gratuites : ce sont des fragments de cultures vivantes, souvent niées, dominées ou méprisées par ceux-là mêmes qui les utilisent.

En refusant de problématiser cela, l’exposition ne se contente pas de célébrer Poiret : elle prolonge son geste. Elle valide, en 2025, l’idée qu’un créateur peut piller sans vergogne ce qu’il veut, tant que le résultat est « joli », « féérique », ou « onirique ».

Montrer, oui. Célébrer sans questionner, non.

Cancel Poiret ?

Faut-il pour autant oublier Poiret ? Non. Il fait partie de l’histoire de la mode, c’est même l’un des grands noms, et il mérite d’être étudié ou exposé. Mais le montrer, lui qui a tant pillé les autres cultures, sans recul, sans contrepoint, sans critique est une faute muséale grave à mon sens.

Une exposition responsable aurait pu :
faire dialoguer ses œuvres avec celles de créateurs non-occidentaux des cultures concernées,
– contextualiser son travail dans un cadre colonial,
– interroger les héritages de l’orientalisme dans la mode contemporaine.

À la place, on nous invite à une fête sans conscience, sans mémoire et sans gêne.

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Vous voulez en apprendre plus sur la problématique de l’appropriation culturelle ? Filez acheter ce livre d’urgence ! (ou offrez-le à quelqu’un du MAD). Il est vraiment top, léger malgré un sujet lourd, et se lit très bien.

« L’appropriation culturelle
Histoire, domination et création : aux origines d’un pillage occidental »
par Khénaïs Ben Lakhdar aux éditions Stock

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« The Musée des Arts Décoratifs presents its first major monographic exhibition dedicated to Paul Poiret (1879–1944), an iconic figure of early 20th-century Parisian haute couture. Considered the liberator of the female body for having banished the corset, Paul Poiret revolutionized fashion. »

These are the opening words of the exhibition “Paul Poiret, Fashion is a Celebration”, currently on display at the MAD or Paris. I hesitated for a long time before going, because anyone living in the 21st century and interested in historical fashion knows that Paul Poiret is a highly problematic designer. I finally decided to see it before judging and… I walked out shocked by this unapologetic masterclass in colonialism and glorified cultural appropriation.

Let me explain :

Can Paul Poiret still be celebrated like this in 2025?

Short answer: NO

Poiret is often presented as a visionary, a bold artist who liberated women from the corset in the early 1900s. That’s certainly the story the Musée des Arts Décoratifs wants us to believe with its 2025 exhibition “Poiret, Fashion is a Celebration”. But with the critical tools of the 21st century — tools that help us unpack colonial power dynamics, orientalism, and cultural appropriation — this glowing, unnuanced celebration becomes deeply troubling.

And it starts right at the entrance :

Okayyyyyyyyy! What a tone — admiring, depoliticized, and uncritical. Poiret is hailed as a « king of fashion, » a « pioneer, » a « romantic figure. » It perfectly sets the tone for what follows: a wholehearted tribute to a man who gleefully plundered non-Western cultures, with not a single critical voice or acknowledgment of the “inspirations” without which he would have had very little to offer.

A walk through colonial fantasy

As the exhibit unfolds, the words guiding visitors through the rooms — “oriental fantasy,” “exoticism,” “dreamlike power,” “quest for authenticity” — reveal a continuing fascination with the colonial imagination. There’s not a word about colonization, power imbalance, or political context. We wouldn’t want to upset those who just came to admire pretty fabrics arranged tastefully, now would we?

The visitor is invited to gaze admiringly, without distance, at a white man who mined Asian and North African cultures to create “modern art” — and is praised for it.

“Mandchoue.” “Exotic.” “Martinique.” These are the names of Poiret’s dresses — and they speak volumes. They reduce entire cultures to fantasy silhouettes. And the museum labels? They make no real mention of any textile tradition or cultural dialogue. Perhaps because Poiret cared more about inventing “novelty” for his bored European elite clients than about respecting the cultures he borrowed from?

But MAD team — newsflash — this isn’t 1910 anymore.

To freshen things up, the exhibit places some of Poiret’s designs alongside pieces by modern designers who were “inspired by him.” So… let me get this straight: non-European cultures inspired Poiret, Poiret inspired contemporary designers, and the original cultures get no mention? Because fashion is serious business, and we don’t cite our sources, thank you very much. Oh, and to top it all off — some of the featured designers are themselves… highly problematic.

These are actual museum labels. I’m not making this up.

And now: pillaging disguised as an “artistic voyage”

Just when you thought it couldn’t get worse: Paul Poiret is presented as a curious explorer, a free spirit enriched by travel. His 1910 Mediterranean cruise — through colonized or semi-colonized lands — is described as a « research mission intended to serve fashion. » He “observes” turbans, sarouels, embroidery… and reinterprets them as he pleases.

This exhibit text illustrates, in the starkest terms, a romanticized colonial gaze and a shameless celebration of cultural appropriation, all wrapped up in a poetic quest for “authenticity.” Paul Poiret did not collaborate with local artisans. He did not credit his sources. He did not give back. He extracted, transformed, and signed everything with his name (because he was the boss, obviously).

An exhibition that perpetuates the colonial narrative

What the MAD seems to forget — or deliberately omit — is that Poiret’s work was entirely embedded in an imperialist context. France in the 1910s was a major colonial power, and fashion did not exist outside those systems of domination. The “exotic” fabrics and silhouettes didn’t fall from the sky — they came from trade routes built on exploitation. The “foreign” motifs weren’t harmless curiosities — they were fragments of living cultures, often silenced or despised by the very people who used them for fashion.

By refusing to interrogate this, the exhibition doesn’t just celebrate Poiret : it extends his gesture. In 2025, it validates the idea that a designer can shamelessly plunder whatever they want, as long as the final product is “pretty,” “whimsical,” or “dreamy.”

Show him? Yes. Celebrate him uncritically? Absolutely not.

Should we cancel Poiret altogether? No. He is part of fashion history, and one of the big names, and he deserves to be studied and shown. But to exhibit a designer who built his legacy on cultural plunder without critical context, without nuance, without counterpoints? That, to me, is a serious curatorial failure.

A responsible exhibition could have:
– Juxtaposed Poiret’s work with that of non-Western designers from the cultures he borrowed from;
– Placed his output within the framework of colonial history;
– Questioned the legacy of orientalism in contemporary fashion.

Instead, we’re invited to a party with no memory, no shame, and no self-awareness.

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